Suite à un premier billet tentant une définition de l'immersion,
je vais ici m'intéresser aux conditions préliminaires à la partie qui rendent l'immersion
possible. Mon principal objectif n'est pas d'avancer des idées
révolutionnaires mais plutôt de faire un état de lieu.
L'envie de jouer
La
première condition est la plus évidente, mais il me semble nécessaire
de la citer tout de même : le joueur doit avoir envie de jouer et de
s'immerger dans le jeu et dans son personnage. L'immersion est
subjective, chacun y voit ce qui lui plaît dans sa pratique du jeu de
rôle. Car, oui, l'immersion est lié au plaisir de jeu
et nous ne trouvons pas de plaisir par rapport aux mêmes choses, nous
sommes tous différents. Certains meneurs préfèrent être en opposition
avec les joueurs, d'autres préfèrent conter une histoire, d'autres
encore préfèrent voir ce que les joueurs vont faire comme choix, etc ...
et même (souvent) un mélange de ces propositions, l'une n'excluant pas
forcément l'autre. C'est exactement la même chose pour les joueurs,
certains préfèrent la compétition entre joueurs, d'autres l'exploration
d'un univers, etc... C'est pourquoi il est important que les joueurs
sachent ce qui les attendent, sachent à quel type de jeu ils vont jouer.
Cela passe par le contrat social (pour plus d'info sur le contrat
social voir l'article de Frédéric Sintes sur le sujet ou la définition du Big Model de Ron Edwards). Par
extension, il faut que tous les joueurs aient les mêmes attentent (ou
des attentes compatibles entre-elles) et donc valident le contrat
social établi. Le contrat social et son acceptation sont souvent
implicites mais rien n'empêche que cela soit explicite.
L'environnement de jeu
Deuxième point à prendre en compte
: l'environnement. Il doit être approprié. La pièce où l'on joue doit
être silencieuse, sans aucun bruit gênant. Les distractions doivent
être limitées au maximum. Tout doit être orienté vers la partie de
telle sorte que l'attention des joueurs soit constamment et
naturellement reportée vers la partie.
La création de personnage
Ensuite
vient la création du personnage. Elle permet au joueur d'entrer
progressivement dans son personnage, l'univers et le système. Il
réfléchit son personnage, l'imagine en situation, créer son caractère,
son physique en fonction de ses envies, du jeu, de l'univers. Elle
permet au joueur de s'approprier son personnage, de se familiariser
avec l'univers et une partie du système de jeu. Cette étape ne se fait
pas forcément en groupe autour d'une table. Lorsque l'on créer son
personnage avant la partie, nous n'avons pas forcément tout le temps que
nous aurions voulu. Il est parfois préférable d'être seul, sans aucune
pression, pour le créer et y revenir plusieurs jours après et ainsi de
suite. Pour certains joueurs, un personnage a besoin de mûrir dans
leur esprit, de se construire petit à petit. Cela permet au début de la
partie/campagne d'être dans des starting-block prêt à jouer. Bien sûr,
cela dépend du jeu : si les personnages sont "jetables" comme dans des
jeux tels que Sombre ou L'appel de Cthulhu,
cela n'a aucun sens. Mais dans des jeux à campagne où l’investissement
dans son personnage est possible c'est un réel plus pour améliorer
l'expérience de jeu.
Les liens entre les personnages
Enfin, les liens entre les personnages joueurs ont leur importance. Un des ennemis majeurs de l'immersion est l'ennui.
Les liens entre les personnages permettent au joueur de s'intéresser à
ce qui se passe même si ce n'est pas son tour de prendre la parole ou
que son personnage n'est pas dans la scène. Si son personnage est
impliqué alors le joueur le sera également. Ainsi, comme les actions
des autres personnages joueurs ont un liens avec celles du joueur, son
attention est plus facilement captée.
Si vous voulez en débattre, écrivez moi ycalamai (chez) gmail.com
Depuis quelques mois, je travaille à la création d'un jeu de rôle nommé Experimentum Omnitopia (pour l'instant). Ce jeu se propose de mettre le joueur en position de réfléchir sur des problématiques de société au travers du personnage joué. Pour que le joueur puisse avoir cette réflexion au travers de son personnage, il est nécessaire que le jeu fasse la part belle à l'immersion. J'ai alors amené mes réflexions sur cette fameuse immersion. Comment l'introduire ? la préserver ?
Dans ce premier article je vais tenter de définir l'immersion.
Définition générale La définition de l'immersion de Wikipédia est la suivante : "L'immersion ou état immersif est un état psychologique où le sujet cesse de se rendre compte de son propre état physique. Il est fréquemment accompagné d'une intense concentration, d'une notion perturbée du temps et de la réalité."
Le flow est difficilement atteignable en jeu de rôle comme on pourrait l'atteindre en lisant un roman ou devant un film. L'immersion dans le jeu de rôle est à un degré différent. Le flow n'est pas impossible mais très difficile d'accès et ce pour une raison simple le jeu de rôle est une activité sociale (à plusieurs donc), le flow est un état psychologique propre à chaque individu qui se ressent et se pratique seul. Prenons l'exemple d'une salle de cinéma, il suffit que quelqu'un tousse, ouvre un paquet de chips, mange bruyamment, parle, etc ... pour rompre notre immersion. En jeu de rôle ce genre de chose arrive constamment sauf s'il est précisé dans les règles de ne pas le faire. Ce genre de règles existe souvent pour ne pas rompre l'immersion et pouvoir tendre vers le flow.
Plus généralement l'immersion telle que je l'entend est un état d'attention sur les éléments fictionnels de la partie. Il est possible de l'étendre au meta-jeu. Généralement, le méta-jeu désigne tous les paramètres extérieurs au système du jeu, qui sont susceptibles d’être pris en compte par les joueurs dans leurs décisions de jeu. Cela englobe donc tout ce qui concerne la partie mais n'est pas fictionnel.
Attention versus Concentration J'ai longtemps hésité entre un état d'attention ou de concentration, ces deux notions étant assez proche. Je me suis alors documenté sur la différence entre attention et concentration en science cognitive. On peux définir l'attention par un acte volontaire, une mobilisation de l'activité cérébrale en vue de porter en soi ce que l'on perçoit par nos canaux sensoriels ou de poursuivre consciemment une suite de pensées. C’est une fonction cérébrale, une première étape qui favorise la réception des informations extérieures et intérieures. Elle permet de les traiter, de les organiser et de les enregistrer. L’attention ouvre une grande fenêtre à vos cinq sens, afin de capter toutes les informations de notre entourage. Mais elle permet aussi, comme un amplificateur, de percevoir ce qui se passe en nous (sentiments, émotions, état physiologique…). La définition la plus connue de l'attention est donnée par William James, considéré comme le père de la psychologie américaine : « L’attention est la prise de possession par l’esprit, sous une forme claire et vive, d’un objet ou d’une suite de pensées parmi plusieurs qui semblent possibles […] Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres. »
La concentration désigne la capacité à centrer et mobiliser ses facultés mentales et physiques sur un sujet et une action. Elle est le fait de focaliser son attention vers un objectif précis. Elle implique une notion de durée et peut, de ce fait, être assimilée avec la notion d'attention soutenue. Elle sert de bouclier à l’attention envers tous les parasites pouvant la distraire.
J'ai choisi de parler d'attention au lieu de concentration car l'attention me permet de parler de ces deux notions complémentaires. La concentration était trop restrictif au sens de l'immersion.
Les degrés d'immersion Il existe plusieurs degrés d'immersion en lien direct avec les degrés d'attention allant de l'indifférence au flow. Pour que le joueur reçoive le message que j'envoie dans mon jeu il est nécessaire que son degré de concentration soit au plus proche du flow. L'attention demande beaucoup d'énergie et il y aura toujours un moment où un joueur va décrocher. C'est tout à fait normal : on ne peux pas rester attentif pendant plusieurs heures et les parties de jeu de rôle sont généralement très longue. Je reviendrai sur la durée de la concentration et son rôle sur l'immersion dans un prochain billet.
Les types d'immersion Au même titre qu'il existe différents degrés d'immersion, il existe différents types d'immersion :
Immersion stratégique (ou cognitive) L’immersion stratégique est principalement cérébrale, et est associée au challenge mental. Les joueurs d’échecs expérimentent l’immersion stratégique quand ils choisissent une solution correcte parmi une large palette de possibilités. Ce type d'immersion est plus fort dans les jeux de rôle à tendance ludique.
Immersion narrative L’immersion narrative est expérimentée par un joueur quand il s’investit dans une histoire. C'est similaire à ce qui est expérimenté quand on lit un livre ou qu’on regarde un film. Ce type d'immersion est plus fort dans les jeux de rôle où la fiction est à l'honneur.
Immersion identifiante L'immersion identifiante est expérimentée par un joueur lorsqu'il tente de deviner ce que son personnage penserait et ferait face aux éléments fictionnels présentés. Elle atteint son paroxysme lorsqu’il arrive à ressentir des sentiments à travers son personnage.
Immersion tactile L’immersion tactile est expérimentée quand on effectue des opérations tactiles demandant une certaine compétence. Les joueurs ressentent le jeu et effectuent des actions qui se terminent en succès. Je vais tenter d'introduire cette notion dans Experimentum Omnitopia.
D'autres types d'immersion existent mais elles ne sont pas véritablement applicables au jeu de rôle mais plus en relation avec la réalité virtuelle. En vrac on a - l'immersion spatiale relatif au réalisme d'un monde virtuel, - l'immersion psychologique quand le joueur ne fait plus la différence avec la vie réelle (le jeu de rôle selon Mireille Dumas) - l'immersion sensorielle lorsque le joueur expérimente une unité de temps et d’espace au fur et à mesure qu’il fusionne avec le média, ce qui affecte ses impressions et sa conscience de soi.